samedi 7 novembre 2015

Veille d'élections au Myanmar



Planche à billets cadeau pour Bouddha
            Voilà que ça recommence… Foutu pays… Foutue ville de Katha… Cinq heures, t'es réveillé par les voix nazillardes des nones de la pagode d'à côté… Ca n'arrête pas!... Infernal… Comme ça a éveillé tout le monde, les gens s'emmerdent et c'est le défilé aux toilettes…Tout le monde y va… Et comme les murs sont fins comme du papier à cigarettes… T'entends tout… T'imagines… A propos de ces bouddhistes… Ils claquent un fric de malade pour leurs pagodes et autres monastères… Il y a plus de bouddhas que de birmans!... Parait il qu'ils auraient l'habitude de donner 10% de leur salaire…Une dime moderne!..Du n'importe quoi… Et jamais vu autant d'enfants travailler… même dans les endroits chicoss!... Ferraient mieux de filer leur blé dans les écoles plutôt que dans les bouddhisteries!.. Après, j'dis ça, j'dis rien car si la vie après la mort existe, c'est peut être un bon placement… Mais j'm'égare.. Donc j'disais qu'après tout ce tintamarre à la pagode et aux chiottes je finis par me rendormir… Je me réveille pépère, surf sur internet dans mon pieu. Et là… Rebelote!... C'est devant l'hôtel cette fois… De la musique sortant d'une sono pourrie!..et un chanteur à la voix cassée… Il a pas gagné Myanmar Idol c'lui là…Tout ça pour de putains d'élections… Auraient mieux faits de me laisser tranquille… Youhou, ça chante pour Aung Sang Suu Kyi, l'égérie de l'occident!... Elle est vachement populaire car ses supporters sont partout au Myanmar… Une sorte de vache sacrée version birmane…Ils vont vite déchanter… Si elle gagne, les militaires se laisseront ils piquer leur place?... Hum… On peut en douter…Donner ces places toutes chaudes et lucratives juste pour avoir perdu des élections?...Faudrait être con!…Et quand bien même, elle gouvernerait, que fera t elle pour eux?... Pour ces masses incultes… Lors des récents pogroms contre les musulmans rohanis, elle a pas bronché l'égérie… Ouai, c'est avant tout une femme politique… Fallait pas perdre les voix des bouddhistes aux tendances génocidaires… Les droits de l'homme, elle les montre aux bailleurs étrangers!...Et tout cet argent pour financer la campagne… C'est des millions!...T-shirt, bouffe, locations diverses et variées, autocollants…Il faudra bien qu'elle rembourse ou se montre reconnaissante… Vous voyez de quoi je parle… Marchés publics, business et tout le tralala… C'est ça la démocratie. C'est beau de voir toutes ces voix aller comme un seul homme à l'abattoir démocratique… On l'a essayé en Occident… On voit maintenant où ça nous mène… Z'ont qu'à demander aux Arabes comment ça s'est passé leurs printemps démocratiques… Les bourgeons ont vite fané…
Les chiens aboient la caravane passe
Bien obligé, je descend voir la mascarade… Une centaine de people… Entourés de badeaux… Ca gueule, ça braille, ça piaille… Le gros du spectacle est un camion aux couleurs rouges du NLD (National League for Democraty pour ceux qui ne sauraient pas, le parti de "The Lady") sur lequel trône le mauvais chanteur et son orchestre.. On dirait Marcel et son orchestre!.. Devant, quelques dizaines de figurants dansent et haranguent la foule en faisant virevolter leurs drapeaux… Le cortège se termine par trois gros 4x4 aux vitres tintées… Enfin ils se tirent…
Maison de Georges Orwell
Je pars donc visiter la ville… Eric Blair, alias Georges Orwell pour les intimes y a vécu en tant que policier et y a écrit un bouquin je crois...Le programme du jour était callé: visite de teahouses, bouffes diverses, lecture, écriture, flanage et portraits de rue. Je bouffe donc tranquille, le fameux curry birman (qui n a rien de fameux loin de la!) et voilà que je revois la caravane rouge. Des gosses de 6 à 10 ans défilent!.. Et un gars vient m'emmerder…d'origine népalaise à ce qu'il dit… blablabla… élections… blablabla… A mon corps défendant il me fout un autocollant sur la chemise!... Il fait fuir le policier avec lequel je mangeais… sans me dire au revoir… il a du me prendre pour un espion occidental aidant à la victoire de The Lady… Donc le type me parle, me file du jus et un infect hamburger… C'est déjà ça de pris.
Je finis de béqueter et je les revois… Pause casse-croute pour eux… Trois heures plus tard, je suis calé dans un tea house à siroter un milkshake et…encore eux!!... A croire qu'ils me suivent!.. En ont pas mare de faire les guignols!?.. Et tout ça pour quoi au final?... Je vous le demande… Quoi qu'il arrive, les puissants auront les fruits, les gros, les juteux et eux les miettes… Mais tout n'est pas à jeter dans cet élan démocratique… Le soir, j'ai rencontré des jeunes et j'ai pu manger et boire à l'œil!... C'était la full moon d'octobre, une des plus importantes bondieuserie birmanes où des lanternes sont allumées partout dans le pays ...Bien installés à regarder les feux d'artifices, on se l'ait bien collé...Proprement...Et on a continué au karaoké!... L'ambiance!..Je vous dis pas...Nos cranes s'en sont bien souvenus le lendemain

Oula, il est temps que je referme la boite de pandore sur mon moi misanthrope et infréquentable. C'est vrai que depuis 3 ans et la 'démocratisation' du régime, les journaux, les chaines de télévision se sont multipliées et ils n'ont rien de neutre, attaquent frontalement le gouvernement et l'ex junte. Alors qu'il y a quelques années, une puce de téléphone coutait plus de 1000 euros, elles sont désormais à 1 euro, et il n'y a même pas besoin de carte d'identité pour en acheter. Moins facile de fliquer les gens! Les langues se sont déliées, les gens parlent ouvertement de politique. Un vrai souffle de changement s'est répandu sur le Myanmar.
Ce qui parait plus étrange, c'est que le NLD est tellement omniprésent que l'on est tenté de croire que c'est le Parti Unique du Myanmar. Cela tient en grande partie sur le charisme d'Aung Sang Suu Kyi. Elle a un nom, c'est la fille du père de l'indépendance qui a fini tragiquement assassiné. Elle a une histoire, faite de privations pour son pays, elle a passé des années en résidence surveillée. Elle serait droite et honnête alors que la junte est corrompue. Son portrait trône dans le salon de millions de Birmans, des bars ont des autocollants NLD sur toutes leurs tables… 

 Ce qu'il faut leur souhaiter c'est que les élections se passent bien. Et surtout l'après élection… Inch Allah ou plutôt Inch Bouddha.
Hasta la victoria siempre

dimanche 1 novembre 2015

En route pour le lac Indawgyi

Je suis sur la terrace de ma guesthouse contemplant le lac de Genève baigné de soleil les pieds en éventail. Ca et là, quelques nuages épars rappellent que la saison des pluies n'est pas tout à fait terminée. 



Le lac Indawgyi, c'est la Suisse birmane. Outre le lac bordé de montagnes, il y a des chalets partout. Ou plutôt des chalets sur pilotis. Des vaches paissent en toute tranquillité et l'on s'attend à voir apparaître du chocolat Milka et des marmottes qui mettent le chocolat dans le papier d'alu. C'est un coin fabuleux. Paisible. Reposant. Inspirant. Comment ne pas être stimulé dans un tel cadre et transporté dans des contrées lointaines? Des pêcheurs sortent leur pirogue pour aller relever leurs filets. Le martellement des charpentiers se fait entendre. J'entend le bruit rotatif des machines à coudre. Une odeur épicée s'échappe des marmites des vendeuses de rue. Des élèves jouent à leur étrange tennis ballon local. Des chants s'élèvent de la pagode.
La Guesthouse est du reste en tant que tel un hymne à la contemplation comme un hôtel posé sur les bords du lac Léman. Il faut traverser une passerelle de 50m entourée de nénuphars avant d'atteindre le bâtiment. Les chambres sont simples mais avec vue sur le lac. L'exigüité de l'endroit, seulement huit chambres, le rend éminemment chaleureux.
Mais que ce fut compliqué d'arriver à cet endroit presque coupé du monde. Et oui, la connexion internet est tellement lente que les gens ne peuvent pas aller sur facebook ou what's ap! A notre époque hyper connectée, c'est la définition d'être 'coupé du monde': ne pas avoir facebook. Même au Myanmar. Alors qu'il y a 5 ans, la frontière du monde civilisé était avoir le 'réseau' ou ne pas en avoir. Départ la veille de Mandalay par le train de 13h30. Le guichetier m'avait dit 10h de trajet pour arriver à Houpin. Finalement, une fois dans le train, le contrôleur m'annonce que l'on atteindra la destination seulement vers 7h du matin! Sacrée différence. Au moins, j'économise une nuit d'hôtel!


C'est un vrai tortillard. Je pourrais sauter du train et remonter en marche tellement il est lent. Le train cahote, toussote, fait des bons au dessus des rails pourris. Un vrai 4x4 dont les amortisseurs seraient très très fatigués. On sait qu'on va dérailler mais on ne sait pas quand! Deux tickets pour le prix d'un: le trajet Mandalay - Houpin et le train de la mine de Disney. Ca tangue tellement qu'un gamin tombe de son siège. Le train est lent mais c'est beau. Il passe au milieu des rizières qui s'étirent à perte de vue. Pas un acre de terre n'est inutilisé. Le riz est omniprésent, les champs étant délimités par des canaux savamment creusés et par des palmiers servant à la vannerie locale. De temps en temps, des pagodes cassent cette monotonie. Je me vois dans les reportages 'Des trains pas comme les autres' que mon grand père maternel nous passait pendant les vacances. Une des émissions qui a forgé mon envie de lointain. La nuit venue, j'essaie de dormir mais la lumière du wagon n'a pas été éteinte. Je soupçonne les contrôleurs de ne pas éteindre pour que le branchement hasardeux qu'ils ont fait en début de trajet - à savoir raccorder une prise au courant électrique pour pouvoir charger les téléphones portables - fonctionne toute la nuit. Mais les sièges sont confortables donc bon an mal an, je somnole un peu. Descente à 7h du matin. Quelqu'un me voit, demande si je vais à Lonton. Il a déjà un australien derrière lui. Ce dernier est "Chef", a démissionné, est parti 4 mois en Asie du sud-est, sait faire seulement les classiques de la cuisine française et joue troisième ligne aile au rugby. Avec sa barde aussi bien fournie, que sa calvitie est déjà impressionnante, lorsqu'il essaie de faire comprendre aux birmans sont âge sur ces doigts, ils pensent qu'il a 42 ans et non 24. Nous mettons nos bagages dans le pick-up mais le départ est fixé à 10h. J'en profite pour faire réparer et recoudre les hanses de mon sac d'ordinateur. Il a moins d'un an. L'obsolescence programmée, c'est l'enculerie du consommateur. A la base des hanses, où ça devrait être le plus solide, ils ont mis un tissus de merde. Pour que ça casse rapidement évidement. Vu le prix d'achat, c'est abusé. En France, je l'aurais remplacé, financièrement, ça ne valait surement pas le coût de le réparer. En fait, je n'aurais même pas eu l'idée de le faire raccommoder. Ici non plus, je ne l'ai pas eu au départ. La civilisation du jetable m'a tellement bien formaté. Le travail a l'air bien fait - 45min quand même-, et ne m'a couté qu'1 euro. 
10h30, le véhicule part enfin. Direction police pour qu'on présente nos passeports. Vu la venue pour le moins inopinée d'un policier deux heures plus tôt et de sa manière brusque de parler au chauffeur du pick up en ponctuant ses phrases de passport, France, Australia, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir aller au lac. C'est une ancienne zone interdite aux étrangers du fait des troubles récurrents entre l'armée et des groupes rebelles Chans. Finalement, ils nous enregistrent en prenant des photos de nos passeports au téléphone portable et c'est bon. Le pick-up refait trois fois le tour de la ville pour reprendre des gens et des marchandises. Plein comme un œuf, il s'élance sur les contreforts d'une chaîne montagneuse. That's is the life. Ca c'est l'aventure! A l'arrière d'un pick-up qui surplombe des à pic, les cheveux au vent, entouré de personnes ne connaissant aucun mot d'anglais! Le tout dans un paysage époustouflant. C'est 'ça', ce sentiment de puissance, de jouissance plus intellectuelle que physique que l'on recherche (en tout cas moi) en partant vers de tels endroits. Même si je ne suis pas, et de loin, le premier étranger à venir, je me sens pousser les ailes d'un Aventurier du XIXème siècle. S'il ne manquait pas quelqu'une, ce serait parfait... La voiture nous dépose à l'unique guesthouse du lac vers 14h. 3h30 de trajet dont seulement 1h à rouler. Le reste du temps, ce fut charger, décharger et mettre de l'eau dans le radiateur pour pas qu'il ne chauffe trop.

                                        
Je dois maintenant parler du moment le plus intense et marquant de mon passage au lac Indawgyi. J'appréhende. Quels mots vais-je utiliser, réussiront ils à le retranscrire fidèlement et à le faire partager à d'hypothétiques lecteurs? Pourtant, les phrases se créent dans ma tête à l'instant où je vis ces aventures, tel un roman et il suffirait simplement d'imprimer mes pensées sur papier. Mais ce n'est plus aussi simple devant le clavier...
Je sors de la Guesthouse pour aller me restaurer et flâne dans la rue principale (l'unique rue goudronnée du village en fait). Au bout de 500 mètres, sur la droite de la route, beaucoup de gens mangent sous une bâche. Ca ne ressemble pas à un restaurant, ça sent la location de bâche pour une cérémonie comme en Afrique. Une femme d'une quarantaine d'année me hèle et me fais signe de venir. Je m'exécute et l'on m'installe à une table avec d'autres hommes. Le repas est succulent. Riz, plats en sauce avec piment, poulet, porc et petits légumes. Personne ne parle plus de trois mots d'anglais. Lorsque l'on n'arrive pas se comprendre, on est transporté dans un film muet du début du siècle dernier. Des gestes, des sourires, des onomatopées. Les sketches s'enchaînent. Au Myanmar, pour faire comprendre où est la France, il me suffit de dire Zinedine Zidane, ça marche toujours, tout le monde se souvient du coup de boule en finale de la coupe du monde 2006. Par contre, nos Présidents sont ici d'illustres inconnus au contraire des Benzema, Martial, Pogba et autres Cantona. Il y a une caisse en bois sous la maison qui accueille les invités ressemblant vaguement à un cercueil. Ce doit être un deuil mais je n'arrive pas à en savoir plus. C'est cynique de dire ça mais je suis bien chanceux qu'une vieille femme de 69 ans soit morte quelques jours avant mon arrivée. On est trop nombreux sur terre de toute manière. Surtout les vieux, à quoi servent-ils? Lorsque je remercie les cuisinières, elles veulent me faire une farce, il faut que je goutte du piment, direct, dans ma bouche. J'en prend, fait semblant de m'étouffer et tout le monde s'esclaffe.
Le linceul en pleine salle de jeu
Nous revenons le soir avec l'australien. Le repas est plus frugal, seulement soupe de riz au poulet. Nous arrivons à comprendre que le corps est à l'étage et lorsque nous l'atteignons, une cinquantaine d'hommes de 20 à 70 ans sont assis en quatre cercles. Dans les trois premiers, ils jouent au 21, 'the national game'. Mais pas pour le plaisir. Il y a des liasses de billets partout, les paris cristallisent l'attention. Le dernier cercle est composé des plus vieux qui ne vont que discuter. Un point commun à tous, ça picole et fume le cigarillo local. Malgré la barrière de linguistique, au fur et à mesure de la soirée, les verres de whisky 'High Class' - un tord boillaux de riz dégueu- et les volutes de fumée délient les langues, les rires sont plus francs, plus forts. La conversation reste on ne peut plus basique tout de même: c'est à qui est le plus fou, qui parle le mieux anglais et tient le mieux l'alcool. Toute cette vie, ce tintamarre fait oublier qu'au fond à gauche de la pièce, un corps est recouvert d'un drap blanc… Etrange atmosphère, loin de la lugubriété de nos deuils occidentaux. Malgré tout, lorsque j'ai fait ma donation à la fille de la défunte, ces yeux était rougis par les larmes. Et en même temps je n'arrive à percevoir que la neige de la partie visible de l'iceberg. Je ne peux saisir les fils, tensions, obligations, dons et contre dons qu'il y a derrière. Ces funérailles - festivités ont du endetter ou en tout cas avoir bien amputé le budget de pas mal de gens. La séparation sexuelle des tâches apparait ici dans sa totalité, sans faird: aux femmes la cuisine, aux hommes l'alcool et les jeux d'argent. Est-ce pour punir Eve d'avoir pêcher en premier et d'avoir kick off our ass du paradis que ce furent ensuite les hommes qui purent faire les plus gros pêchés et ainsi profiter des meilleurs fruits de la vie?
Rendez vous est pris pour le petit déjeuner, et lorsque je rentre vers minuit, la salle est encore bondée.

Le lendemain, je loue un scooter chinois à 4 vitesses, le même modèle que j'avais lorsque j'habitais à Ferké dans le nord de la Côte d'Ivoire. Je suis la berge du lac. Entre goudron et piste, les souvenirs et la nostalgie me prennent. Les zigzags pour éviter les trous sur les pistes. L'air frais qui s'engouffre dans le casque. La panne d'essence en face d'un vendeur de bouteilles d'essence frelatée. Je flâne et m'arrête au grès de mes envies. Les gens m'apostrophent, on essaie de baragouiner quelque chose d'intelligible. Des femmes récoltant du riz me font des grands gestes pour m'inciter à les rejoindre. Métier pas facile, sous un soleil de plomb, le corps recouvert de la tête aux pieds, elles coupent les plans à la faucille et en font des tas. Je m'y essaie mais ce n'est pas concluant. Les hommes viendront les ramasser plus tard, les porteront sur leur dos et les mettront dans des charrettes tirées par des bœufs. Mise à part qu'ici elles sont neuves, ce sont les mêmes que celles qui pourrissaient dans la grange de ma grand-mère.